Texte critique: Anne Broitman

Iguisou : Variations sur le même thème

Le torrent fraie son débit tumultueux entre les terres escarpées. L’abondance du blanc, le mouvement naissant de la force gestuelle suggère la puissance, l’omniprésence de l’eau rapide, mousseuse, énergique, écumante. Sur les hauteurs rocheuses, dans les creux géologiques de la nature, elle est partout. Sa teneur, sa profondeur, la véhémence de son déferlement et son impétueux spectacle ne fait pas de doute ; elle coule baroque, se débat naturaliste. Les peintures évoquant les chutes d’Iguisou d’Anne Broitman comme les variations sur un même thème en musique présentent trois niveaux de représentations.
L’artiste les exprime aussi à travers une orchestration chromatique et symbolique prenant l’aspect d’une carte géographique. L’onctueuse matérialité de l’huile leur donne un effet sensuel cher à Jean Siméon Chardin. Les verts, les marrons évoquent la nature, le noir, la profondeur du gouffre, le blanc trouble la matérialité liquide selon une vue distancée, une vue du ciel.
Plus abstraite, plus mentale, une troisième représentation de la célèbre cascade est présentée en lambeaux de couleurs comme des papiers déchirés, des lambeaux de mémoire.

Péchés

La série des péchés semble travaillée à travers des miroirs déformants ou des prismes évoquant les corps tordus de Francis Bacon.
L’artiste joue sur la force suggestive du dessin, sur les traits noirs appuyés telles des calligraphies chinoises. Elle cerne l’expression de la figure. La couleur est posée par tâches insistant sur l’état chargé de la psyché, matérialisant le poids de l’émoi et du trouble. Reconnaît-on des visages, des corps, des attitudes ?
Ses péchés, états de conscience, scories de l’inconscience naissent d’un langage informel et suggestif.

Les Portraits

Le propre du portrait c’est la ressemblance. Chez Picasso, nonobstant la déformation cubiste, on reconnaît aisément le modèle. Quand Brancusi a portraituré James Joyce, il a tracé deux traits et une spirale, c’est le portrait le plus lapidaire de toute l’histoire de l’art. En art, tous les coups sont permis.
Plutôt que des noms proprement dit, les portraits d’Anne Broitman expriment un état d’être, un groupe, un type, un universel.
La Mariée est bleue, altière comme une cathédrale gothique. La romantique est sombre, La timide le visage penché disparaît dans des creux noirs et des taches vertes et brunes. La voyageuse s’anime au souvenir de l’ardeur du désert africain, L’intellectuelle garde la tête froide. Ses visages sont travaillés en creux, comme en sculpture. Elle les soumet à une technique particulière qui leur donne l’aspect des collages, ou des affiches lacérées. Sans avoir besoin de souligner les caractéristiques d’un visage, elle les fait fonctionner promptement ; sur des pans de couleur monochromes, les visages apparaissent dans une économie signalétique très graphique à l’image des sérigraphies et des affiches. On pense à la Figuration narrative d’un Gérard Fromanger ou bien d’un Valerio Adami. « Est narrative toute œuvre plastique qui se réfère à une présentation figurée dans la durée par son écriture et sa composition sans qu’il y ait toujours, à proprement parlé récit » écrit Gérald Gassiot-Talabot.
La morphographique poésie de ces portraits rejoint la poétique de la vie.

Ileana Cornea,  Paris mai 2013