Edward HOPPER – La maison au bord de la voie ferrée

Edward HOPPER

En 1925, Edward Hopper achève sa célèbre Maison au bord de la voie ferrée (The House by the Railroad), qui est considérée comme l’un de ses meilleurs tableaux. Découvrez son histoire avec Lauranne Corneau.

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Texte intégral du commentaire, par Lauranne Corneau :

Edward HOPPER – La maison au bord de la voie ferrée

Vous vous demandez certainement où vous avez déjà vu cette maison? Dans le film Psychose d’Alfred Hitchcock, peut-être, ou bien dans « Les Moissons du ciel » de Terrence Malick. A Disneyland Paris aussi, dans l’attraction du manoir hanté. Ou encore sur les cimaises du Musée d’art moderne de New-York, le MoMA. Vedette de l’oeuvre intitulée House by the railroad, si cette demeure est aujourd’hui si connue, c’est grâce à l’ambition de son créateur, à l’impact qu’elle eut sur l’ensemble du monde de l’art, mais aussi grâce à une histoire tout à fait particulière.

L’artiste américain Edward Hopper a déjà 40 ans passés lorsqu’il réalise cette oeuvre, en 1925. Elle est son tout premier succès artistique et commercial. Exposée l’année de sa création, la toile est achetée en 1926 par le collectionneur Stephen Clark, qui, comme le reste du monde de l’art, découvre alors ce peintre. Et lui, décide de le soutenir. Puis il en fait don au tout jeune MoMA en 1930, qui vient tout juste d’ouvrir ses portes. Un acte d’une importance capitale pour l’avenir de l’oeuvre et de son créateur !

Dès sa première exposition publique, l’oeuvre frappe la critique, qui en salue la puissance formelle, mais pas seulement. De son caractère à la fois familier et vaguement angoissant émane une très freudienne « inquiétante étrangeté ». Et pourtant, la demeure, majestueuse, symbole du style architectural en vogue au XIXe siècle en Amérique, se dresse, seule, au-dessus d’un chemin de fer, telle une icône entièrement baignée d’une lumière chaude. Rien de plus anodin, donc, que cette quiétude digne d’une fin de journée d’été. Mais c’est envahis d’une sensation étrange que nous tentons de pousser plus avant l’observation : pas d’animaux, pas d’arbres, pas de présence humaine dans cette composition. Pas de vie, en somme. Mais la maison, elle, semble vivante. Observez les fenêtres : est-ce le fait du soleil qui semble s’y refléter ou les stores baissés qui animent cette façade comme autant d’yeux, de nez, de bouches architecturales? Quoiqu’il en soit, c’est de ces questionnements que naît l’inquiétude. Maintenant, cherchez les portes… Il n’y en a pas ! Ou du moins, elles ne sont pas visibles. Les architectures d’Hopper sont constamment impénétrables, comme mises à distance. L’effet est encore accentué par la présence très brutale du chemin de fer au premier plan, qui coupe dangereusement l’accès à cette belle demeure. Un train pourrait en effet passer furtivement d’un moment à l’autre, et bouleverser la plénitude de l’image. Ainsi, sans avoir recours aux procédés de narration traditionnels, l’artiste parvient avec brio à faire entrer ici les notions d’espace, de temps, de mouvement, et de bruit afin de conférer à l’image davantage de vie.

Et c’est ainsi que, dans cette toile emblématique, l’artiste pose les jalons de son oeuvre à venir.

Mais au-delà de la seule apparence formelle, c’est toute une réflexion philosophique qui s’incarne dans cette toile. Hopper, proche du courant transcendentaliste qui a marqué la Nouvelle-Angleterre un siècle auparavant, se livre ici à une illustration des théories de Ralph Emerson. Jamais dans son oeuvre ne sont visibles les aspects de la vie contemporaine. Nulle part vous n’y trouverez l’évocation des selfmade-men, de la construction des premiers gratte-ciel, des premières pin-up américaines, de la vie nocturne trépidante de Broadway. Les oeuvres d’Hopper sont hors du temps. Celle que vous avez devant les yeux s’ancre en particulier dans la critique d’une évolution de la société qu’il déplore. Si la maison est si lumineuse, c’est parce qu’elle s’érige en emblème de la société puritaine, qui n’est pas encore touchée par les vicissitudes de la recherche du progrès. Mais cette image est lointaine, inaccessible, perdue à tout jamais : le chemin de fer en coupe l’accès. Il symbolise quant à lui l’exact opposé, à savoir la période qui suit la guerre de Sécession, une période marquée par les conséquences – néfastes – de la Révolution industrielle. C’est, en somme, un renversement des valeurs de l’Amérique originelle qui est ici dénoncé.

Hopper, s’il semble préserver son oeuvre de toute incursion contemporaine, est pourtant l’un, sinon le premier, des représentants les plus fascinants de l’art purement américain, et cette toile en est le manifeste.