Texte critique : Jeannette Allary

Jeannette Allary

Fille de l’eau, l’aquarelle déborde, répand des tâches fertiles. Dans les temps néolithiques, des artistes anonymes mélangent pigments et liants pour décorer leurs mystérieuses grottes. Sur les parchemins, au bord du Nil, des mains et des esprits exaltés par la foi dans l’immortalité tracent les merveilleuses écritures et les scènes de vie quotidienne des anciens Egyptiens. La technique de l’aquarelle est exigeante, l’équilibre qu’elle sollicite ne supporte pas l’erreur.

Un texte attribué à Molière circule dans les cercles des apprentis aquarellistes comme un précepte, une règle à suivre : « L’aquarelle est puissante et veut, sans complaisance, qu’un peintre s’accommode à son impatience, la traite à sa manière, et d’un travail soudain saisisse le moment qu’elle donne à sa main. La sévère rigueur de ce moment qui passe aux erreurs d’un pinceau ne fait aucune grâce. Avec elle, il n’est point de retour à tenter et au tout premier coup de doit d’exécuter. »

Voleur d’image, l’aquarelliste voyageur avant le photographe saisit à l’aquarelle paysages, animaux, plantes, paysages qu’il découvre pour la première fois. À la Renaissance, Dürer comprit la délicatesse et la noblesse de l’aquarelle. À l’époque romantique, des artistes anglais tel que Turner, le meilleur de tous pousse la maîtrise de cette technique existentielle jusqu’à sa sublime élévation.

La couleur pose l’empreinte fluide, le papier absorbe. Pour Jeannette Allary l’aquarelle réunit à l’unisson la coïncidence entre le souffle l’énergie, l’unité, l’âme, la respiration, l’écoute, la luminosité, le loisir et l’espace, réalisant cette synergie des sens et d’esprit. La légèreté du trait de l’estampe japonaise l’inspire pour les mêmes raisons et pour cet esprit jubilatoire qu’elle dégage et qui enthousiasma Van Gogh : « Voyons, n’est pas presque une vraie religion ce que nous enseigne ces Japonais si simples et qui vivent dans la nature comme si eux-mêmes étaient des fleurs. Et on ne saurait étudier l’art japonais, il me semble, sans devenir beaucoup plus gai et plus heureux, et il nous faut revenir à la nature malgré notre éducation et notre travail dans un monde de convention. »

Jeannette Allary restitue par ses pinceaux les champs des fleurs dictées par sa mémoire, en vitesse. Tout en finesse, leur empreinte évanescente subsiste dans le souvenir. Comme si de fleurs, elle voulait rétablir la fragrance, les teintes de la glycine grimpante, rose et mauve épanouie. À leur « beauté adhérente », elle nous montre « leur beauté sans fin. »

Les fleurs comme des taches sont des évocations exquises. L’aquarelle, la peinture de l’émotion agit sur le papier comme le sang empourprant les joues de jeunes gens timides surpris en flagrant délit au moment d’une introspection coupable.

L’artiste agit vite, change de supports, elle utilise le papier Canson, papier de soie, papier cristal. Elle regarde la nature, extrayant des traits, des points d’appui pour les couronnes de ses arbres qu’elle fait traverser les saisons, saisissant les frondaisons.

Elle oublie par moments la nature, mais comme elle la connaît par cœur, elle crée ses peintures abstraites retenant à travers ses choix intimes les couleurs lui correspondant : camaïeu, camaïeu bleu forment des symphonies, reflets, émergences, fjords.

Des envolées semblables à des légères plumes animent délicatement la surface blanche du papier. Elle s’amuse avec l’empreinte, en marouflant le très fin papier ; elle obtient des plis, comme les lignes de la main.

À notre époque qui fonctionne autour de la vitesse et de l’instant, des artistes comme Jeannette Allary nous rappelle que l’essence de l’instant et dans la vitesse c’est le souffle.

Ileana Cornea Paris juillet 2014