Texte critique: Philippe Paumier

Philippe Paumier se présente lui-même comme un flâneur : Au travers de mes ballades citadines, je ne peux m’empêcher de penser que certaines choses délaissées ont un vécu et qu’elles puissent encore faire un bout de vie, avec moi.

On pourrait le qualifier aussi de chiffonnier, d’un chiffonnier spécialisé. Il récupère les plaques de cuivres sur les toitures de monuments historiques : En fonction du soleil et des intempéries, celles-ci s’oxydent en prenant différentes couleurs dit-il. Cette attitude, le flirt avec les objets étranges d’une ville, poétisée par les surréalistes, reprise par les Nouveaux Réalistes, Philippes Paumier la met au service de sa sculpture.

Il superpose des plaques de fer usées, corrodées, déchiquetées. Il boulonne, soude, accroche. Il allie la poésie de la forme trouvée à l’esthétique de la rouille et de sa polychromie. Il réalise des assemblages. Si Richard Serra a fait de la rouille maîtrisée et patinée son cheval de bataille signifiant le gigantisme abstrait au service de l’émotion de l’espace, Philippe Paumier l’apprivoise.

Les petites dimensions de ses œuvres adoptent intimement, poétiquement, romantiquement les effets de la rouille sur le matériau. L’artiste s’arrange à le détourner de sa raideur initiale lui inspirant douceur, finesse, malléabilité et parfois, une certaine préciosité.
Le matériau au rebut devient une oeuvre rébus sous l’aspect d’une écorce d’arbre, de cuire patiné, d’un bijou, d’une parure, ou d’un papier froissé. L’artiste imprime, corrige, lègue aux matériaux ses émotions.

Différente de ses assemblages, la colonne en cuivre est montée, ouvragée. Palpée et façonnée elle semble avoir subi une kinésithérapie thaumaturgique.  Elle n’est pas rectifiée ou corrigée, ni même dirigée comme la forme aérodynamique susceptible de s’envoler chez Brancusi. L’artiste lui intime un souffle intérieur. Sa patine rappelle celle d’une ceinture en cuir ayant vécu. Des enfoncements se succèdent sur sa longueur comme dans l’art aborigène les pas des sorciers. Totémique mais pas trop, elle prend la lumière, la grâce l’emporte sur le sacré.

Son installation avec des tiges en acier rouillées et sphères blanches en céramique est une œuvre légère et décorative. L’artiste rapproche deux matériaux antinomiques, jouant sur leur consistance tactile et visuelle. La pureté de la céramique évoquant la douceur de la caresse qui est contredite par la rugosité de la tige rouillée. Sous le poids léger des petites têtes rondes sorties du feu, les tiges rouillées plient leur robustesse comme les roseaux leur silhouette flottante sous les effets du vent. Leur place est bien là entre les arbres et les herbes d’un jardin.

Une autre préoccupation de l’artiste en prise avec son matériau, c’est la blessure. L’incision, le tatouage, la calligraphie, autrement dit la formulation de la trace, l’idée de la signature, le souci de la postérité : Fixer, graver, marquer la matière à travers le signe. Ses personnages allongés griffés sur les plaques en fer rappellent ses encres de chine.

Il est curieux de constater combien indispensables sont pour les sculpteurs les pratiques clandestines telle l’aquarelle pour le charnel Rodin, la lumière de la photographie pour l’immatériel Brancusi ou bien la tendre lithographie pour le métallique Cézar. Sur un fond jaune pâle, solaire, les apparitions rhizomiques de Philippe Paumier entame un langage expressif et mystérieux.

Ileana Cornea,  novembre 2011