Texte critique: Olga K

Olga K, traduire le soi

La peinture abstraite est une peinture de profondeurs. Après la guerre, la plupart des artistes pensent que la figuration nous trompe car le monde n’as pas les contours aussi organisés que la tradition nous a laissé croire.
Pour eux, la vérité se fait sentir dans les entrailles de la couleur, dans l’acheminement du trait qui ne mène parfois nulle part absorbé comme un cours d’eau dans le désert. Chez Olga K, le trait c’est son garde-fou. Son trait, c’est ce contre quoi la couleur obtempère, c’est son fil d’Ariane qui rompt cependant et qu’elle jette comme des effilochures, dans les toiles qui lui ressemblent le plus.

Pour peindre, elle se laisse néanmoins prendre dans les rets de ses rêves et les voluptés d’un lyrisme connu. Elle pratique l’introspection à travers le pouvoir thérapeutique de la couleur et du geste. Chaque couleur correspondant à des humeurs, l’artiste agit en fonction de sa vibration intérieure. Elle guète et débusque ses émotions, son geste est salutaire intercédant entre l’invisible palpitation vitale et la toile qui, à chaque coulure de peinture, à chaque tracé se charge d’une vie nouvelle.

Dans la plupart de ses œuvres, Olga K accueille volontiers l’influence de la palette kandinskyenne comme pour s’immerger dans une Russie qui lui semble familière. Les couleurs explosent : les jaunes, les rouges, les bleus.
Des anneaux serpentins, calligraphies lentes un peu lourdes suivent leurs trajets circulaires au-dessus des éclats des taches tournant sur elles-mêmes prégnantes comme la chaux du maçon, ravivant obsessionnellement une mémoire opaque. Son geste est pesant. C’est moins un rapport martial qu’elle entretient avec sa toile qu’une relation de plaisir. Face à la trace, aux taches de couleurs diluées laissant derrière leurs éclaboussures présageant le bonheur où trahissant un voile de tristesse, l’artiste éprouve de l’étonnement.
L’espace fermé, l’espace « de l’exile » initié par Bram van Velde la fascine également mais elle s’en échappe en cherchant un espace à elle, originel et mystérieux. C’est l’espace de son monde intime où, à travers ses rhizomes, ses rhizosphères, ses foraminifères, ses toiles prennent un aspect plus personnel. Sa part de féminine y fait surface.

C’est ainsi que ses intuitions tactiles débusquent les complications organiques qui la travaillent. Les couleurs diluées répandent leur flux et leur vie de manière informelle. Les contours disparaissent au bénéfice de ramifications, arborescences accumulant de sécrétions, les épanchant, les cloisonnant. L’artiste tâtonne, mais elle voit juste, tirant, et rompant le trait, créant ses propres chlorofibres, se rapprochant de plus en plus de l’essentiel.
Dans cette série, son émotion s’extériorise provoquant une cosmographie aquatique. On pense à certaines toiles de Wols pour lequel « le geste du corps trouve dans le tableau son destinataire et son autre » et pour lequel « chaque trait est une nervure, chaque couleur l’ambiguïté d’une saison, mais les nervures se confondent et s’entrelacent, parfois s’ouvrent et laissent couler une couleur inattendue entre la sève et le sang. » Écrit l’historien d’art Alain Bonfand.

Dès lors, Olga K. s’inscrit peu à peu dans la tentative d’une peinture existentialiste heureuse, jubilatoire :« Je me retire du réel, découvre le monde avec un étonnement naïf et beaucoup d’émotion. J’ai pris conscience de l’éphémère de cette vie. Rien n’est dû. Être en vie est déjà un miracle, un cadeau précieux. Cela me bouleverse d’être là. Traduire cela sur ma toile ».

Ileana Cornea, Paris février 2013